Explorant les grandes tendances de consommation des Français, des experts identifient plusieurs mouvements contradictoires nous rappelant ainsi que le mangeur est pluriel et qu’il compose toujours entre un idéal fantasmé et des contraintes budgétaires, sociales, religieuses et identitaires.
Le 13 octobre dernier une rencontre organisée par la marque Charal réunissait des experts indépendants pour explorer les grandes tendances et les mouvements de contradiction dans les comportements de consommation des Français durant la crise sanitaire de la Covid-19.
Frédéric NICOLAS, directeur Shopper Insights Solution & Innovation à l’Institut IRI, a présenté les résultats d’une enquête réalisée auprès de 1200 sujets représentatifs de la population française sur trois périodes (mars, mai, juin 2020).
Cinq comportements contradictoires ont été décelés.
- Pour la majorité des sujets (89%), bien consommer est de plus en plus une priorité mais souvent difficile à mettre en œuvre (53 %). En cause : la difficulté à changer sa routine, le désir de ne pas renoncer au plaisir et le prix. Depuis la crise sanitaire, la préoccupation économique devient prioritaire pour 40 % des sujets (versus 22 % avant la crise) et prend le pas sur la qualité des produits (22 % versus 34 %). Les deux injonctions paradoxales « Mieux consommer » et « faire des économies » se sont renforcées avec le déconfinement. Pour résoudre l’équation qualité-prix, les Français privilégient les promotions (pour 50 % d’entre eux) et les marques distributeurs dont ils considèrent à 57 % que leur qualité s’est améliorée.
- Autre conflit dans l’esprit des consommateurs, celui entre manger sainement (naturel, authentique, peu transformé…) et se faire plaisir (tentation gourmandise…). L’arbitrage entre ces deux envies a été mis à mal par la crise sanitaire (+ 38 % de ventes de chocolat pendant le confinement). Plus d’un quart des utilisateurs d’applications mobiles dédiées à la qualité nutritionnelle des produits les ont abandonnées par lassitude, manque de temps, manque de confiance ou envie de se faire plaisir.
- La tendance émergente au flexitarisme (38% des Français le revendique) a aussi été bousculée par l’envolée des ventes de protéines animales (+ 6 % pour les poissons et +7,5 % pour la boucherie charcuterie) au premier semestre 2020. Durant le confinement, les viandes et poissons sont passés en troisième place des produits indispensables aux Français.
- Cuisiner était une tendance de fond qui s’est accélérée durant la crise (42 % des Français cuisinent davantage). Cependant, le manque de temps et d’idées pourraient avoir raison de cette tendance pour 16 % des sujets.
- La crise sanitaire a favorisé les circuits courts (ventes directes de producteurs, petites épiceries, commerces spécialisés de quartier, magasins bio…) qui s’inscrivent dans un mouvement de fond (réassurance, qualité). Pour autant, le confinement levé, les Français retournent largement dans les circuits d’avant la crise, les hyper/supermarchés pour des raisons de choix et de promotions.
Comportement complexe ou pluralité des consommateurs ? Pour l’anthropologue Fanny Parise, l’alimentation est éminemment culturelle et est un miroir de notre société. Manger est un acte symbolique et ne peut donc pas obéir à un cadre normatif trop stricte. Elle cite Claude Fischler « si nous ne consommons pas tout ce qui est biologiquement comestible, c’est que tout ce qui est biologiquement mangeable n’est pas culturellement comestible ».
Par ailleurs, il existe aujourd’hui un décalage entre la « naturalité » recherchée par le mangeur et l’offre croissante de produits transformés. Pour réduire l’écart entre l’idéal espéré d’une alimentation « saine » et la réalité de ses pratiques quotidiennes, l’individu met en place des stratégies psychosociologiques.
Ainsi, le choix des aliments et le comportement du mangeur sont sanctionnés par des jugements liés aux normes sociales, culturelles et religieuses. « Ce qui n’empêche pas de revoir son jugement comme dans le cas du sucre, tour à tour diabolisé et loué en raison de son lien au plaisir », remarque-t-elle.
« Consommer, c’est choisir un produit, un mode de production, un modèle économique. C’est d’autant plus compliqué qu’au-delà de cette éthique alimentaire et des injonctions au bien manger, il faut respecter les contraintes budgétaires, sociales, religieuses et identitaires du mangeur », explique l’anthropologue.
Autre élément à prendre en compte, les ruptures de cycles de vie (mariage, naissance du 1er enfant, deuil...). Elles ont également un impact sur les changements de pratiques et habitudes de consommation car l’alimentation, perçue comme un élément maîtrisable, permet de redonner un cadre, un équilibre et de ce fait de la réassurance à l’individu.
Enfin, le contexte joue pour beaucoup dans l’alimentation et met le doigt sur certaines contradictions comme la crise sanitaire a pu le montrer. Les produits autrefois perçus comme dépassés avant le confinement (boites de conserve ou surgelés) ont repris place sur la table et leurs caractéristiques (stockage, accessibilité et prix) valorisées. De nouvelles stratégies se sont mises en place, tout en restant acceptables et le moins en contradiction avec ses idéaux de vie.
Fanny Parize conclut que le consommateur est un être paradoxal car fait le grand écart entre ce qu’il pense faire, fait réellement et aimerait faire. Elle ironise sur le fait que si sa volonté de moins consommer et de prendre de la distance avec la société de consommation a été fortement revendiqué durant le confinement, le déconfinement a montré tout l’inverse avec un retour en force des logiques de la société de consommation.
C. Costa « © Société Française de Nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés ».
MeatLab Charal — Le consommateur et son assiette : une relation paradoxale ? FHCOM — Influence, Social Media & RP
Date de publication : 08/04/2021
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