Entre difficultés financières et croyances environnementales, les consommateurs parviennent difficilement à adopter une alimentation durable en France comme outre-Atlantique.
Les chercheurs français et québécois ont, à nouveau, échangé sur leurs travaux de recherche et cette fois-ci sur la vision qu’ont les consommateurs de l’alimentation durable. Les Français ont présenté leurs données sur les représentations d’une alimentation durable par des consommatrices en difficulté financière, tandis que les chercheurs québécois ont exploré les connaissances et croyances des consommateurs sur les effets environnementaux de l’alimentation.
France : difficile de manger durable sous contrainte financière
Basile Verdeau et Sandrine Monnery-Patris ont conduit deux études qualitatives pour comprendre les déterminants de choix plus durables par les consommateurs sous contrainte financière. La première a identifié le rôle joué par les différentes dimensions de l’alimentation durable dans les valeurs alimentaires d’individus inscrits dans une épicerie sociale. La seconde étude a analysé la perception du coût d’habitudes alimentaires durables auprès de parents d’enfants de maternelle ou de primaire habitant dans un quartier défavorisé.
Sandrine Monnery rappelle que les choix alimentaires dépendent à la fois de déterminants individuels comme les connaissances ou les représentations et idéaux, d’influences extérieures comme les ressources financières dont dispose la personne, les influences sociales ou encore l’environnement alimentaire dans lequel elle fait ses choix. Par ailleurs, les choix alimentaires résultent d’un arbitrage entre différentes motivations et valeurs comme la santé, le coût et la praticité.
Les travaux de son laboratoire, débutés il y a deux ans et demi rapportent que dans l’esprit des consommateurs sous contrainte financière fréquentant une épicerie sociale, l’alimentation durable renvoie à l’environnement, l’agriculture locale, la santé et à la dimension socioéconomique. Plus étonnant, elle évoque aussi l’alimentation qui permet une satiété dans la durée. Pour plus d’un quart des participants, l’alimentation durable n’évoque rien. Six valeurs alignées avec plusieurs dimensions de la durabilité ont été identifiées. La santé, avec les fruits et légumes au cœur de la représentation de l’équilibre. La place de la viande pose question car elle est intégrée culturellement au repas complet. La naturalité est la deuxième valeur évoquée. Elle s’exprime par une agriculture sans pesticides, ni engrais de synthèse et une cuisine faite maison et est associée au goût des aliments. La troisième valeur est le contrôle sur l’origine de la production (locale), sur la fabrication (maison). Trois autres valeurs sont la solidarité, le partage et la frugalité.
Les résultats de ces études révèlent qu’il existe beaucoup de barrières pour aller vers une alimentation plus durable. Celles-ci vont bien au-delà de la question des valeurs et des représentations. Parmi elles, la barrière du prix. Les parents considèrent comme chers le poisson frais, la viande rouge, les fruits secs, le fromage, la charcuterie et les fruits. Un tiers des participants considère aussi que les légumineuses, les viandes blanches et les légumes sont chers. En réalité, leur estimation du prix est encodée en référence à des habitudes d’achats préétablies. Les habitudes alimentaires et les routines d’achats construites autour de la viande et des féculents, le répertoire limité des enfants, source de gaspillage dans le cas d’achats de fruits et légumes, l’isolement social ou les problèmes de santé sont de véritables barrières à une transition alimentaire durable. Même si ces barrières varient beaucoup en fonction des groupes sociaux, notamment en fonction de l’âge et de la culture alimentaire, l’enjeu principal est très systémique. Si bien que les chercheurs estiment qu’une alimentation durable basée sur un rééquilibrage des groupes d’aliments ne serait pas nécessairement plus coûteuse (si on exclut l’agriculture biologique), mais serait plus difficile à élaborer pour répondre à la contrainte nutritionnelle et avec une acceptabilité plus réduite.
Pour faciliter l’exposition à une alimentation saine et végétale de cette population contrainte financièrement les deux chercheurs recommandent de favoriser l’exposition répétée à cette alimentation, de créer de nouvelles routines non déstabilisantes. Pour cela, les chèques alimentaires pour l’achat de fruits, légumes et légumineuses pourraient être utiles.
Des croyances environnementales au Québec
Bertrand Espougne et Laure Saulais ont présenté les résultats d’une enquête réalisée auprès d’un échantillon représentatif de la population canadienne, dont l’objectif était d’évaluer les connaissances, la compréhension et les croyances des consommatrices et consommateurs québécois au sujet des effets environnementaux de l’alimentation. Si la prise de conscience des Québécois sur l’impact environnemental de leurs pratiques de consommation est bien là, elle est très lente, notamment concernant les pratiques alimentaires. La motivation est présente, mais des obstacles majeurs s’opposent à la mise en pratique, comme les connaissances pour identifier les bonnes options et l’opportunité (les alternatives existent-elles ? À quel prix ?).
À la question des solutions à mettre en place pour réduire l’impact environnemental de l’alimentation, les participants proposent en premier lieu de « manger local » pour réduire l’impact du transport des aliments. Le gaspillage alimentaire arrive en seconde position, tandis que la réduction de la consommation de protéines animales, et en particulier de viande rouge, est citée en dernier, alors qu’il s’agit d’une stratégie très efficace. Les données québécoises sont cohérentes avec les données des études, principalement européennes.
Les chercheurs québécois en concluent que les consommateurs canadiens ont besoin d’être sensibilisés aux bonnes pratiques environnementales et de disposer d’un affichage environnemental fiable qui leur permette de faire le tri parmi les nombreux labels privés existants. Pour l’instant, le gouvernement canadien ne s’est pas saisi de la question d’un étiquetage environnemental.
Source : Que pensent les gens de l’alimentation durable en France et au Québec. Pôle bioalimentaire. INAF 14 février 2025.
C. Costa © Société Française de Nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Date de publication : 02/06/2025
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