Face à de jeunes générations de plus en plus « addicts », une médecin nutritionniste lance l’alerte sur les dangers des réseaux sociaux. S’appuyant sur l’analyse de l’impact des réseaux sociaux sur la silhouette féminine, elle évoque l’angoisse, l’insatisfaction et le mal-être provoqués par les comparaisons physiques répétées avec les icônes des médias sociaux. Elle propose des solutions pour aider ces jeunes femmes et appelle à une prise de conscience sur les dangers des réseaux sociaux.
Des études de plus en plus nombreuses font état des dégâts causés par certains usages du numérique dans la vie des adolescents et des jeunes adultes. Les réseaux sociaux seraient à l’origine de dépendance, de solitude, de dépression ou encore d’anxiété.
Qui de leur impact sur l’image corporelle ? C’est la question que s’est posée Dominique-Adèle Cassuto face à des jeunes femmes venues consulter pour des problèmes de poids. À l’occasion du Dietecom, elle a présenté le résultat d’un travail personnel au sujet de l’impact des réseaux sociaux sur la silhouette féminine.
Au départ : la rencontre avec une jeune femme de 22 ans consultant pour un bilan hormonal car elle avait pris 6kg depuis 2 ans (64 kg). « Cette jeune femme, qui présentait un comportement alimentaire adéquat et faisait du sport, semblait triste, perdue et complexée. L’ambiance familiale était centrée sur le corps », remarque-t-elle. À la question « Suivez-vous des filles sur Instagram ? », la jeune femme répond qu’elle suit des « fitgirls » comme Sonia Tlev mais pas des « Post bad ».
Si ces termes ne vous parlent pas, il est temps de vous mettre à la page car « si vous n’êtes pas au courant de la silhouette à la mode, du régime tendance, de qui elles suivent, si elles postent des photos et sur quels sites elles surfent, vous ne pouvez pas aider vos patientes », alerte Dominique Cassuto. « Aujourd’hui, on ne peut plus faire l’impasse sur la relation qu’ont nos patients avec les médias sociaux. Au cours de la consultation, il faut donc poser les bonnes questions ».
De fait, les réseaux sociaux prennent une place non négligeable dans la vie des Français. Près de la moitié sont présents sur un réseau social (38 millions sur Facebook, 14 millions sur Instagram, 15,6 millions sur Whatsapp…) et ils y consacrent au moins deux heures par jour. Les 25-34 ans sont les plus nombreux sur Facebook (9,8 millions versus 7,4 millions des 18-24 ans et autant des 34-44 ans). Messenger, Whatsapp et Instagram génèrent 1,8 millions de « likes » chaque minute, 10 milliards de messages envoyés par jour, 4,75 milliards de contenus partagés chaque jour.
Chez les 16-24 ans, Youtube, Instagram et Snapchat sont les réseaux les plus populaires. Ce sont leurs principales sources d’information. Ces réseaux leur permettent de se comparer à leurs pairs mais aussi aux stars. L’un d’eux, Instagram, permet de partager ses photos et vidéos, de laisser des commentaires mais favorise surtout le culte de la personnalité en permettant d’embellir et de sublimer ses photos. Cette plateforme est utilisée dans cette optique. Les dix comptes Instagram les plus suivis dans le monde appartiennent pour la plupart à des célébrités comme Selena Gomez ou Ariana Grande.
C’est sur Instagram qu’est née la « fitspiration », une tendance qui rassemble des milliers de personnes (35 millions de publications), souvent amateurs, se mettant en scène et prônant un mode de vie sain dans un corps mince et musclé, combinant activités sportives et alimentation saine (Sonia Tlev), en échange de « likes ». Aux côtés des stars, figurent les « Post Bad » et les « Tutos » dans lesquels des Youtubeuses inconnues au départ, affichent leur plastique et vantent leur expérience (souvent de perte de poids) ou des produits, pour glaner des « likes » et des abonnés afin d’être approchées par les marques. Car Dominique Cassuto rappelle que ces influenceurs sont tous à la recherche de profit et que celui-ci dépend du nombre de « likes » et d’abonnés.
En parallèle à cette tendance fitness, de nouvelles silhouettes apparaissent sur Instagram à l’image de celle véhiculée par Kim Kardashian. Le corps idéal change et se déforme (forte poitrine, grosses fesses, taille de guêpe) au fil des semaines et des tendances. Vient vite alors l’envie de changer d’apparence. « Le sentiment de mal-être sera d’autant plus redoutable que les jeunes femmes qui suivent ces influenceurs ne semblent pas déceler la mise en scène et le retouchage des photos », indique Dominique Cassuto. Après la brève illusion d’un changement possible, les jeunes femmes sont découragées et déprimées.
Les professionnels de santé découvrent alors de nouveaux troubles chez leurs patient(e)s comme le « FoMO », anxiété sociale caractérisée par la peur de manquer une nouvelle importante (28 % des ados seraient atteints et 35 % des 16/17 ans répondraient à un message de jour comme de nuit). Apparaît aussi la « dysmorphie Snapchat » : habitués à modifier leur apparence avec l’application Snapchat (yeux agrandis, nez rétréci, peau lisse, dents blanches…), les jeunes s’adressent aux chirurgiens esthétique (les britanniques ont lancé une alerte) pour correspondre à la version virtuelle retouchée par Snapchat. Le « selfitis » est le cas extrême de personnes se prenant en photo au moins trois fois par jour pour se sentir populaire, créer une compétition ou se sentir sûr de soi. Les 16-25 ans y dédient 5heures par semaine. « C’est la course à l’audimat de l’intime, l’attente du like », commente Dominique Cassuto avant d’expliquer que « les likes et commentaires sont des récompenses qui donnent l’impression d’être entouré d’amour ». À l’inverse, l’absence de like cause une blessure narcissique profonde et peut conduire à l’athazagoraphobie, angoisse pré-dépressive.
Plusieurs études scientifiques rapportent ces effets négatifs des réseaux sociaux sur l’image corporelle. Des travaux canadiens (Jennifer S. Mills, 2019) auprès de jeunes femmes de 18-27 ans publiant un selfie avec ou sans retouche observent un sentiment de déprime, d’anxiété et une image de soi négative lorsque les jeunes femmes ne peuvent pas retoucher leur photo. D’autres travaux indiquent que la comparaison entre les images de femmes provenant d’Instagram et les internautes provoque un sentiment de jalousie, de la mauvaise humeur et un mal-être face aux photos des stars. Le temps passé sur Instagram est corrélé à l’internalisation de la beauté « idéale » et donc par comparaison à soi, à l’insatisfaction corporelle et au nombre de tentatives de régimes. Les utilisateurs de Facebook auraient aussi davantage de désordres alimentaires et seraient plus préoccupés que les autres par leur silhouette.
Quelles solutions proposer alors aux patientes qui correspondent à ces profils ? Dominique Cassuto conseille à ses patientes d’arrêter ou de diminuer la consultation des réseaux sociaux et le suivi des instagrameuses. « Pour y parvenir encore faut-il qu’elles prennent conscience de l’impact négatif que ces réseaux ont sur elles et qu’elles soient plus critiques vis-à-vis de la sincérité des images postées », modère-t-elle. Elle leur recommande aussi de ne poster que des photos naturelles d’elles. Enfin, elle visionne en consultation avec ses patientes des comptes parodiques ou « Body-Positive ». Ces sites militants qui révèlent comment les photos sont retouchées, montrent des photos de mannequin rondes et n’hésitent pas à montrer les imperfections, sont comme un contre-pouvoir aux diktats des fitgirls et Post Bad.
Dominique Cassuto en est convaincue, une personne ayant une image corporelle saine sera en mesure de valoriser son corps pour ce qu’il est capable d’accomplir et non pour l’image qu’il reflète. Elle sera plus encline à s’occuper d’elle avec bienveillance dans une perspective de santé et de bien-être plutôt qu’esthétique. « Aidons nos patientes à aimer et célébrer leur corps », conclut-elle.
C. Costa « © Société Française de Nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés »
D.A. Cassuto — Silhouette et réseaux sociaux. Dietecom 6 et 7 juin 2019 https://www.dietecom.com/.
Date de publiciation : 24/09/2019
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