AccueilAlimentation DurableActualités scientifiquesKOL Lab 2025 – SFN x NutriPro : Comment accompagner le consommateur dans ses choix pour une alimentation plus durable ?

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Sommaire

Introduction

Selon le rapport de la commission EAT-Lancet publié en 2019, nous ne pourrons pas nourrir 10 milliards d’individus sur la planète en respectant les contraintes planétaires si nous ne changeons pas de système alimentaire [1]. La commission EAT-Lancet qui rassemble des chercheurs de renommée mondiale dans les domaines de la nutrition, de la santé, de la durabilité et de la politique, n’est pas la seule à avoir fait ce constat. En 2016 déjà, l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) publiait un rapport sur les initiatives agroécologiques en Europe [2] et faisait le constat dans un autre rapport sur l’agroécologie à l’horizon 2050 [3] que le système alimentaire européen n’est pas durable. À l’heure de l’élaboration de la stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat, la SFN s’est aussi saisie de la question. Avec la collaboration du Réseau Action Climat, elle a publié un rapport proposant des pistes d’action pour la prise en compte des enjeux environnementaux dans le futur Programme National Nutrition Santé (PNNS5).

Le sujet est vaste et soulève de nombreuses questions. Quel modèle alimentaire recommander ? Quelles sont les pratiques actuelles des Français en matière de durabilité ? L’étiquetage des produits peut-il orienter les consommateurs vers des choix plus durables ? Quel rôle les professionnels de santé ont-ils à jouer auprès de leurs patients pour favoriser une alimentation plus durable ? Quelles actions les acteurs de l’alimentaire peuvent-ils mettre en place pour mieux orienter les consommateurs dans leurs choix et pratiques ?

Pour répondre à ces questions, la SFN, avec le soutien de Nestlé France, a convié des chercheurs, experts et acteurs de terrain à échanger leurs points de vue lors d’une conférence-débat tenue le 9 janvier 2025. Après un état des lieux du sujet, un temps d’échanges et de co-construction avec les acteurs de terrain a nourri les pistes de réflexion pour l’avenir.

Les conférences sont visionnables gratuitement à l’adresse suivante : https://sf-nutrition.fr/2025/02/13/replay-conference-debats-alimentation-durable-09-01-25/. Nous vous en présentons ici une synthèse.

État des lieux des recommandations de modèles alimentaires durables

Durabilité et sécurité alimentaire sont interconnectées

Selon la FAO, les régimes alimentaires durables sont définis comme des régimes ayant de faibles conséquences sur l’environnement, qui contribuent à la sécurité alimentaire et nutritionnelle, ainsi qu’à une vie saine pour les générations actuelles et futures. Le concept de durabilité alimentaire partage des objectifs communs avec la sécurité alimentaire, qui se décline en six dimensions [4] :

•    la disponibilité ;

•    l’accessibilité physique, économique et l’acceptabilité sociale ;

•    l’utilisation selon les besoins nutritionnels de la population et de ses sous-groupes de population (biodisponibilité de certains nutriments et micronutriments, effet de l’âge, de l’état physiologique ou physiopathologique), et qui intègre la sécurité sanitaire (chimique et microbiologique) ;

•    la stabilité des trois dimensions précédentes, car les crises et les chocs tels que l’instabilité politique, les conditions météorologiques défavorables ou les facteurs économiques ont un impact sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle à long terme ;

•    la durabilité fait référence aux pratiques des systèmes alimentaires qui contribuent à la régénération à long terme des systèmes naturels, sociaux et économiques, garantissant que les besoins alimentaires des générations présentes soient satisfaits sans compromettre les besoins alimentaires des générations futures ;

•    l’agentivité (néologisme traduit de l’anglais « agency ») qui est la capacité de chacun à agir de façon intentionnelle sur lui-même, sur les autres et sur son environnement.

Un modèle actuel non durable

L’intensification des impacts environnementaux des activités humaines, nos modes de production et de consommations alimentaires ont déjà eu pour conséquence le dépassement de six des neuf limites planétaires. Trois limites restent encore à ne pas dépasser : l’acidification des océans, l’appauvrissement de la couche d’ozone et l’augmentation de la présence d’aérosols dans l’atmosphère. Nous savons que 21 à 37 % des émissions totales de gaz à effet de serre (au niveau mondial) sont imputables au système agricole et alimentaire. Ces émissions proviennent des activités liées aux cultures et élevages (9 à 14 %), à l’utilisation et au changement d’affectation des terres (5 à 14 %), et aux activités de la chaîne d’approvisionnement (5 à 10 %) [5]. Les pays qui ont le plus d’impact en tonnes d’équivalent dioxyde de carbone par personne sont les pays développés. La France se situe entre 9 et 12 tonnes d’équivalent dioxyde de carbone par personne sur 100 ans [6].

Plusieurs propositions de régimes alimentaires durables

Les travaux scientifiques de ces dernières années convergent sur la nécessité d’une transition vers des modes de production agroécologiques et vers des régimes alimentaires plus durables. Plusieurs scénarii ont été élaborés :

•    le scénario AFTERRES 2050 produit par Solagro propose un régime dont les quantités de céréales augmentent et celles de viandes et de produits laitiers diminuent de 50 % et 20 %, respectivement. La consommation de poisson est divisée par un facteur trois, tandis que les quantités de légumineuses sont multipliées par trois [7] ;

•    le scénario TYFA pour une Europe agroécologique en 2050 propose une forte augmentation des consommations de céréales, de fruits et légumes et une diminution de moitié des viandes et dans une moindre mesure des produits laitiers [8] ;

•    le scénario Pulse Fiction proposé par le WWF contient une proportion plus élevée de légumes secs (+1290 %), de produits céréaliers (+35 %) et de fruits et de légumes (+43 %) que le régime alimentaire moyen actuel. Il mise aussi sur une réduction de la consommation de viande (−64 %), de poisson (−42 %) et de produits laitiers (−38 %) [9] ;

•    l’un des quatre scénarios de l’ADEME consiste en la réduction volontaire de la consommation de calories avec une diminution d’un facteur trois des viandes et dans une moindre mesure des produits laitiers [10] ;

•    le régime développé par le groupe EAT-Lancet propose une assiette composée à 50 % de fruits et légumes, des quantités importantes de céréales complètes et des quantités faibles de viandes rouges et de charcuteries [1], réévaluée en 2023 pour une meilleure adéquation en oméga-3 et en micronutriments ainsi qu’une réduction des facteurs antinutritionnels [11].

Malgré leur diversité d’approches, les scénarios convergent tous sur la nécessité de :

•    diminuer de façon importante les apports en viande de l’ordre de 50 % ou plus, dans des proportions variables pour chaque type de viande selon les scénarios ;

•    diminuer la consommation de produits laitiers (entre 21 et 51 % selon les scénarios) ;

•    augmenter fortement la consommation de fruits et légumes et de sources végétales de protéines, et tout particulièrement de légumineuses.

Quelles recommandations pour intégrer la durabilité dans le PNNS ?

Les guides alimentaires sont de plus en plus nombreux, aujourd’hui, à prendre en considération les enjeux environnementaux [12], à l’image du guide édité par le Conseil nordique des ministres en 2023 (Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède). En 2022, 29 des 83 pays ayant établi des guides alimentaires avaient procédé à une révision de leurs recommandations avec une prise en compte plus ou moins exhaustive des enjeux. Ces guides alimentaires varient de façon significative sur les recommandations en viandes, dont les apports les plus élevés figurent dans les recommandations françaises avec 650 g de viandes (dont 150 g de charcuterie par semaine contre 400 à 500 g par semaine, voire en deçà, dans les autres pays) [13].

Dans le cadre d’une collaboration Réseau Action Climat et SFN, une approche de modélisation a été conduite pour élaborer un modèle alimentaire divisant par deux la consommation de viande en France, tout en restant compatibles avec les enjeux nutritionnels et environnementaux. Ce modèle alimentaire propose une consommation de viande (incluant toutes les viandes et la charcuterie) de 435 g par semaine, une consommation de 2–3 produits laitiers par jour et de 3 à 4 œufs par semaine (incluant leur utilisation comme ingrédients), et intègre davantage de fruits et légumes (500 g/j), de céréales complètes (138 g/j), de légumineuses (65–100 g/j) et de fruits à coque (25–30 g/j).

La transition vers un modèle alimentaire plus durable est donc possible mais doit dépasser la seule question des protéines et veiller à apporter l’ensemble des micronutriments nécessaires. Ce modèle devra répondre aux besoins spécifiques de certaines catégories de population et résoudre la contrainte posée sur la digestibilité par les divers facteurs antinutritionnels présents dans les produits végétaux dans le cadre d’une plus importante végétalisation de notre assiette.

Quelle est la réalité des pratiques alimentaires et comportements d’achats en termes de durabilité des français ?

La mise en œuvre des normes sociales aspirationnelles est parfois mise à l’épreuve des capacités à y répondre, si bien qu’il existe souvent un écart entre ce que les consommateurs désirent et ce qu’ils mettent en pratique. L’aspiration à manger sain et durable affronte les mêmes écueils.

Des attentes tournées vers le modèle agricole et le « One Health »

L’exploration des représentations mentales des consommateurs [14] sur ce qu’est une alimentation saine et durable révèle qu’elle fait avant tout référence aux produits issus de l’agriculture biologique pour un tiers des consommateurs. La santé est aussi un critère évoqué mais est interprétée de façon différente selon la catégorie de la population considérée. Elle est, par exemple, synonyme de « sans sucre, sans gras, sans sel » pour 10 % des consommateurs de 25 à 34 ans avec un capital culturel peu élevé, tandis que pour d’autres, elle est clairement liée à la santé de la planète et la santé pour soi (un tiers des consommateurs). Cette notion de « One Health » est, en particulier, portée par les plus jeunes (18–24 ans), ce qui laisse supposer une évolution des jeunes générations vers une vision plus intégrative de l’alimentation.

Si dans le contexte actuel d’inflation, les produits biologiques sont moins accessibles financièrement, leur prix est toutefois justifié, selon les consommateurs, par la juste rémunération des agriculteurs. Dans cette mouvance apparaissent aussi le local, le « fait maison » (cité par 20 %), les produits de saison, évoqués principalement par des populations jeunes, diplômées, cadres et très sensibles à l’écologie. Au contraire, pour les plus modestes, l’alimentation saine et durable est associée par 10 % des sujets au contenu de l’assiette et à ce qui est nécessaire pour vivre comme la viande, le poisson, les légumes et les pâtes. Quant aux plus de 65 ans, ils associent l’alimentation saine et durable à une production agricole biologique, sans pesticide et en circuit court.

Au final, les représentations de l’alimentation saine et durable sont très influencées par un effet générationnel. L’équilibre nutritionnel et l’attention à l’environnement sont portés par les plus jeunes tandis que les plus âgés sont davantage orientés vers le modèle agricole.

Des pratiques sous contraintes économiques

La montée de l’inflation alimentaire de plus de 21 % en deux ans depuis le début de la guerre en Ukraine, met en tension le budget alimentaire des Français. Pour certains consommateurs, l’alimentation saine et durable passe moins par la consommation de produits biologiques ou locaux que par des pratiques de maîtrise des quantités ou de réduction du gaspillage alimentaire.

Les premiers gestes adoptés sont, par exemple, de favoriser les achats de produits en promotion, de produits à dates limites de consommation (DLC) courtes, de réduire les volumes d’achats ou d’apporter son déjeuner sur son lieu de travail.

Depuis 5 ans, les consommateurs font aussi des arbitrages budgétaires en achetant moins de viande de boucherie, de volaille, de fruits et de légumes frais. De même, en 2024, 7 % des consommateurs se déclarent végétariens ou végan, davantage parmi les 18–24 ans (18 %) et ceux en insécurité alimentaire (13 %), probablement par contrainte financière. Pour autant, le gaspillage alimentaire perdure et a même tendance à augmenter dans le temps, notamment parmi les populations en insécurité alimentaire.

Il existe donc des attentes fortes pour aller vers une alimentation plus saine et durable, issue d’un modèle agricole biologique et principalement motivée par des critères de santé. Cependant, les consommateurs peinent à mettre en pratique les bons gestes car ils n’ont pas toujours le pouvoir de décider, faute de capacité financière. Il leur reste toutefois des marges de manœuvre sur la gestion des déchets.

Rôle des systèmes d’étiquetage : où en est-on ? Quels critères prendre en compte ? Quel impact sur le consommateur ?

Face aux enjeux de santé publique et aux enjeux environnementaux, il est nécessaire de faire évoluer de façon concomitante l’offre (évolution des pratiques de production, reformulations, etc.) et la demande alimentaire.

Trois leviers d’action

Il existe trois grands leviers d’action sur les pratiques et comportements de consommation. Le premier est celui des quantités totales consommées et qui sont fortement corrélées avec les émissions de gaz à effets de serre [15]. Le deuxième concerne la part relative des différentes catégories alimentaires dans le régime alimentaire avec la substitution possible entre des catégories de produits moins impactantes sur l’environnement (favoriser les produits d’origine végétale). Le troisième mise sur les substitutions intra-catégories de produits ayant des modes de production, de transformation et de distribution différents.

L’étiquetage des produits peut accompagner les consommateurs dans leur transition vers une alimentation plus durable en agissant sur ces leviers.

Les objectifs de l’étiquetage

L’étiquetage répond à quatre grands objectifs :

•    réduire les asymétries d’information entre le consommateur et le produit ;

•    réduire les coûts de traitement de cette information par les consommateurs en hiérarchisant ou en agrégeant les indicateurs en un seul score ;

•    orienter les choix des consommateurs pour conforter ou réviser leurs croyances mais aussi faire évoluer leurs préférences en modifiant les arbitrages entre les différents éléments qui interviennent dans cette décision ;

•    inciter les acteurs de l’agroalimentaire à améliorer leur offre.

Cependant, l’élaboration de l’étiquetage soulève la question des critères et des indicateurs à prendre en compte pour calculer le score utilisé et pose la question du format à adopter.

Une métrique utile mais sous tensions

Le développement des scores se fonde sur la construction d’une métrique de qualité des produits pour pouvoir comparer et classer les produits d’une même catégorie. Elle se base sur les caractéristiques intrinsèques du produit (nutritionnelles) ou de ses impacts (environnementaux) et non pas, comme cela est le cas des labels, sur des cahiers des charges de conditions de production. Ces étiquetages sont des échelles de qualité qui peuvent servir de référence ou de support dans de nombreux domaines : décisions des entreprises et des consommateurs, interventions publiques et privées, régulation des publicités, fiscalité (taxe et subventions), politiques de reformulation des produits, stratégies marketing, etc.

Cependant, cet étiquetage engendre plusieurs points de tension : public versus privé, volontaire versus obligatoire, score versus labels, quantités versus qualités, légitimité scientifique versus croyance des consommateurs, acceptabilité des normes versus normes sociales des différents groupes sociaux. La question des coûts de changements pour les entreprises (reformulation, procédés) et pour les consommateurs (prix, coût sensoriel, habitudes alimentaires) est également soulevée.

Des effets différenciés

Une méta-analyse sur l’impact de l’étiquetage nutritionnel indique que les étiquetages prescriptifs (logo et/ou couleurs permettant une identification rapide de la qualité nutritionnelle) sont plus efficaces sur les changements de comportement des consommateurs que les étiquetages descriptifs (tableau nutritionnel ou contribution du produit aux apports journaliers recommandés) [16]. Les approches agrégées sont aussi plus efficaces que les approches analytiques (décomposition de séries d’indicateurs). Elles ont un effet favorable sur la capacité d’identifier les bons produits, des effets positifs sur les attitudes des consommateurs et des effets modestes sur les achats. Leurs effets sont différenciés selon les types de consommateurs avec des effets plus importants chez les motivés, pro-environnementaux, déjà sensibilisés, et, a contrario des rejets possibles s’ils sont perçus comme des injonctions qui viennent s’opposer aux normes sociales existantes.

Le format de l’étiquetage a aussi des effets significatifs sur la composition du panier d’achats avec des effets différenciés selon le type de format. En situation expérimentale, le Nutri-Score améliore la qualité nutritionnelle du panier d’achats de l’ordre de 10 % [17]. Les effets observés en magasins sont équivalents mais leurs amplitudes sont sensiblement plus faibles. Quant aux expérimentations en restauration collective, elles rapportent également une amélioration de la qualité nutritionnelle des plateaux mais des effets de halo et de compensation (achats de produits de meilleure qualité mais en plus grande quantité) ne sont pas exclus. L’étiquetage a des effets moindres sur les substitutions inter-catégories que sur les substitutions intra-catégories [18], [19].

Enfin, l’impact sur la qualité nutritionnelle des produits est réel et dans le cas du Nutri-Score, une étude met en avant une réduction de 1 à 2 points de score [20].

Cas de l’affichage environnemental

L’affichage environnemental, encore en cours d’expérimentation, a fait l’objet de quelques travaux rapportant, lui aussi, des effets très différenciés selon le format et le mode de calcul. Il permet une amélioration de la capacité des consommateurs à classer les produits avec des effets variables selon les types de consommateurs (pro-environnementaux, etc.). L’amplitude de son effet est relativement modeste et sa prise en compte par le consommateur passe après celle du score nutritionnel lorsqu’il y est associé. Il a un effet bénéfique sur la qualité environnementale des choix, mais il induit principalement des substitutions inter-catégories [21]. Cet étiquetage n’a pas d’impact fort sur les reformulations des produits. Pour renforcer les incitations sur l’offre, plusieurs propositions sont évoquées par les chercheurs : créer un étiquetage par catégories de produits, amplifier les écarts intra-catégories avec des bonus et malus, augmenter le nombre de niveaux comme le propose la Foundation Earth ou abandonner le format de score et afficher la valeur numérique d’impact (pour 100 g ou au produit) adossée à une échelle colorielle. L’avantage de cette dernière proposition est la maîtrise des effets inter et intra-catégories, de créer une distance davantage caractérisée entre les produits, de permettre des incitations plus claires sur l’offre, et de prendre en compte les quantités des produits. Toutefois, ce système est plus difficile à comprendre par les consommateurs que les logos coloriels.

Au final, l’étiquetage est une condition nécessaire mais très loin d’être suffisante pour rendre possibles des changements significatifs des pratiques de consommation. Il doit être intégré à un ensemble de leviers d’action comme l’éducation et les recommandations, la disponibilité et l’accessibilité d’une offre durable, la problématique des prix et contraintes de revenus, et des actions sur le « point-de-décision » (promotions, mises en avant…).

Ateliers – débats

Comment mettre en pratique les conseils alimentaires durables et de santé dans la consultation médicale ou diététique ?

Le sujet de la transmission de conseils sur l’alimentation durable par le professionnel de santé a soulevé plusieurs questions lors de cet atelier débat entre chercheurs et acteurs de terrain : le professionnel de santé est-il légitime pour aborder ce sujet ? Le patient est-il sensible à l’alimentation durable ? Quels sont les messages clés à lui transmettre ? Comment l’accompagner dans le changement de ses habitudes ?

Les échanges ont apporté plusieurs éléments de réponse. Les professionnels de santé (médecins, diététiciens) sont considérés comme légitimes pour transmettre des conseils car ils font figure d’autorité en santé et sont écoutés. La relation interindividuelle qu’ils ont avec leur patient et leur suivi sur le long terme (en particulier par les diététiciens) sont de véritables atouts, notamment pour rendre plus concrets les changements à mettre en place. Cette légitimité est importante à l’heure où des non-spécialistes de la santé ou de la nutrition s’emparent de ces sujets et font des recommandations pouvant, parfois, être en contradiction avec celles de santé publique. Toutefois, les professionnels de santé sont insuffisamment formés sur le sujet de l’alimentation durable. Un sujet devenu important face à l’émergence des préoccupations alimentaires de leurs patients vers des pratiques plus durables et de leurs questionnements concernant, entre autres, la nécessité de consommer de la viande ou des aliments « bio » (enquête de l’AFDN/Nestlé, 2022). Plusieurs enjeux semblent alors se dessiner : celui de former le professionnel de santé – médecin ou diététicien – à intégrer ces recommandations dans sa pratique, celui des outils nécessaires pour l’y aider et celui des outils d’accompagnement du patient dans sa démarche de changement.

Les professionnels de santé présents émettent le souhait d’être formés sur l’alimentation durable et plus généralement à la promotion de la santé « unique » pour concilier les enjeux de santé individuelle à ceux de la durabilité. Des repères d’alimentation durable validés, simplifiés et déclinés selon les populations (sujets âgés, enfants, sujets atteints de pathologies, etc.) leur sont nécessaires, ainsi qu’une liste de ressources pratiques (livret de recettes, sites internet avec conseils pratiques, plaquettes d’information, ressources locales, etc.) à transmettre au patient. L’évaluation de l’intérêt du patient pour l’alimentation durable est citée comme un prérequis indispensable. Un questionnaire à faire remplir par le patient pourrait, par exemple, permettre une autoévaluation du niveau d’engagement sur la dimension durable de son alimentation et servir d’amorce de discussion pour le professionnel de santé, et potentiellement d’outil de suivi lors des consultations suivantes.

La question de la difficulté à faire modifier les comportements alimentaires des patients est aussi partagée. Elle impose une approche collaborative et empathique, s’affranchissant de réponses uniformisées, de restrictions, d’injonctions, de messages négatifs et culpabilisants, mais aussi d’arguments scientifiques, qui ne sont pas entendus. Partageant leurs expériences, les acteurs de terrain recommandent d’éviter l’usage de certains termes comme « végétarien » ou « végétalisation de l’alimentation », qui peuvent être associés à des représentations négatives ou de restriction. Au contraire, les formulations positives et gourmandes sont à favoriser pour susciter la curiosité du patient. L’approche motivationnelle brève (cf. les recommandations de la HAS) est évoquée comme une aide utile pour les professionnels de santé. Elle permet d’évaluer le comportement à modifier, de conseiller le patient en fonction de ses besoins, de se mettre d’accord avec lui sur un objectif réaliste, en l’aidant à s’appuyer sur les ressources nécessaires, à surmonter les obstacles et à organiser le plan d’action et le suivi. Il est également utile d’identifier les sources de motivation qui vont permettre aux patients d’aller vers une alimentation plus durable comme réduire le gaspillage alimentaire et contrôler son budget, qui peuvent être des arguments forts chez certains patients. La stratégie par étapes (ou petits pas) est également évoquée car elle propose de petits changements réalistes, adaptés à la situation du patient et à ses capacités individuelles. Le professionnel peut aussi s’appuyer sur les moments de vie favorables au changement (émancipation du foyer parental, arrivée d’un enfant, retraite, etc.).

Quelles actions les acteurs de l’alimentaire peuvent-ils mettre en place pour mieux orienter les consommateurs dans leurs choix et pratiques alimentaires de manière globale ?

L’atelier d’échanges autour des actions à mener par les acteurs de l’alimentaire pour orienter les consommateurs vers des choix plus durables a débuté par le constat que le concept même d’alimentation durable est diversement compris du public. Les chercheurs présents indiquent qu’il n’évoque rien pour 20 % des consommateurs et pour d’autres est associé à l’écologie, la santé, le local, l’environnement ou même à une alimentation qui rassasie sur la durée. Ils ajoutent que pour le consommateur, l’association entre le climat et les recommandations de réduire la consommation de viande et d’augmenter celles de fruits, légumes et légumineuses est source de confusion et interroge. Difficulté supplémentaire, le concept de durabilité arrive dans un contexte sociétal de suspicion envers l’alimentation (lié à la succession de crises sanitaires) et de médicalisation excessive de l’acte alimentaire, si bien qu’il est perçu par certains comme une injonction supplémentaire à celle de manger sain. Calquer les messages en faveur d’une alimentation durable sur les messages sanitaires existants serait donc contre-productif, selon les participants.

Au contraire, des études indiquent que la notion d’agriculture durable semble mieux comprise des consommateurs. Ils l’associent aux agriculteurs locaux, respectueux de l’environnement, cultivant sans pesticides, et la rattache plus naturellement à l’alimentation durable.

Les participants de l’atelier en concluent que le concept d’alimentation durable nécessite encore d’être clarifié auprès des consommateurs. Ils suggèrent que le discours s’ancre dans la filière agroalimentaire en amont, en lien avec les modes de production et la qualité nutritionnelle. Communiquer plus globalement sur le concept de « One Health », convoquer le principe de la juste rémunération des agriculteurs, de la souveraineté alimentaire, et évoquer le bien-être animal sont des pistes suggérées. Le rôle de l’industriel pourrait alors être de reconnecter le consommateur à l’histoire de l’aliment brut et ses modalités de production pour lui redonner de la valeur.

Pour aider le consommateur dans ses choix alimentaires, les participants conseillent aux acteurs de l’alimentaire de travailler leur offre pour qu’elle soit la plus compatible possible avec l’alimentation durable : liste d’ingrédients simplifiée, portions adaptées, offre moins transformée, accessible financièrement, accompagnée de recettes compatibles avec la santé et la durabilité, et de conseils individualisés selon la catégorie de population (sénior, enfants, etc.). Pour rendre plus désirable l’alimentation durable, les participants recommandent de communiquer sur le plaisir, le goût et les qualités sensorielles des produits, leur histoire (et leur provenance), sans oublier le plaisir de cuisiner et la convivialité du partage des repas.

Les participants évoquent aussi l’importance d’intégrer le produit alimentaire dans les pratiques du consommateur en lui associant des points de repère de portions, et en fournissant des conseils sur la façon de l’inclure dans des repas plus durables, voire en donnant accès à un guide de conseils simples pour une transition vers une alimentation durable. La transparence et le décloisonnement des savoirs pourraient être d’autres stratégies à investir grâce aux réseaux sociaux et en ouvrant les sites de production et de transformation des produits. S’engager sur l’éducation sensorielle des enfants et du personnel de restauration scolaire, sur l’amélioration de la littératie alimentaire dans sa globalité, favoriser l’exemplarité et les rôles modèles sont d’autres actions attendues des industriels.

Ces deux ateliers débats ont ouvert de nombreuses pistes de réflexion pour, d’une part, aider les professionnels de santé à guider leurs patients vers des pratiques alimentaires plus durables et, d’autre part, clarifier le rôle des industriels de l’agroalimentaire pour soutenir les choix alimentaires des consommateurs. Le besoin de formation des professionnels a clairement été identifié, ainsi que celui d’outils pratiques pour les accompagner dans cette mission. L’amélioration de l’offre alimentaire, l’adaptation de la communication qui l’accompagne, la place de cette offre au sein de repas plus durables et l’engagement des marques sur ce nouvel enjeu de la durabilité sont parmi les actions attendues du côté de l’industrie alimentaire.


Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Nous remercions les orateurs de ce webinaire : Marie-Josèphe Amiot-Carlin, MoISA, université de Montpellier, CIHEAM-IAMM, CIRAD, INRAE, Institut Agro, IRD – Pascale Hébel, Directrice associée de C-Ways – Louis Georges Soler, Inrae UMR Paris-Saclay Applied Economics _ Ainsi que la société Nestlé France pour son soutien financier à l'organisation de ce webinaire.

C. Costa, © Société Française de Nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Références :

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[20] C. Bauner, R. Rahman The effect of front-of-package nutrition labelling on product compositionEur Rev Agric Econ, 51 (2) (2024), pp. 482-505
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Date de publication : 15/07/2025

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