Ludiques, motivants et didactiques, les réseaux sociaux pourraient être le relai de diffusion d’une alimentation équilibrée s’ils n’encourageaient pas des stéréotypes de minceur, de performance, de contrôle de soi ainsi que des menus en grande majorité déséquilibrés.
Si les réseaux sociaux sont un relais intéressant de l’action publique pour inciter à de bons comportements alimentaires, ils sont aussi le lieu de toutes les dérives, comme le suggère Pascale Ezan, à l’occasion des Journées annuelles Benjamin Delessert.
Il faut bien l’admettre, les injonctions à manger bien ou manger mieux ne sont plus le seul monopole du gouvernement et des professionnels de santé. Les réseaux sociaux exploitent la tendance à grand renfort de publications taguées avec les hashtag #healthy ; #healthyfood ; #une journée dans mon assiette ; #fitness, etc. Des contenus très prisés des 16—24 ans en quête de repères et de modèles alimentaires, et qui passent en moyenne 3 heures par jour sur les plateformes en ligne (Snapchat, Instagram, Youtube, TikTok). Mais quel peut-être l’impact de ces publications sur leur comportement alimentaire ? La spécialiste en marketing social fournit quelques éléments de réponse à partir des résultats du projet ALIMNUM.
Des influenceurs auto-proclamés experts
Premier constat, les contenus sont produits par des influenceurs non spécialistes de la nutrition et qui pour la plupart tirent leur expertise de leur propre vécu. Ils font figure d’autorité pour parler alimentation et sont omniprésents dans l’écosystème numérique (150 000 influenceurs en France). À titre d’exemple, plus de 106 millions de posts Instagram sont produits pour le seul hashtag #healthy.
Le problème est que leur vision est bien souvent celle d’une alimentation fonctionnelle destinée à atteindre des objectifs (minceur, silhouette, performance, etc.).
Des contenus très normés
Les contenus abordent la santé, le végétal, l’alimentation saine connotée à la minceur et à l’esthétisme des plats, le bien-être animal, le local et les produits biologiques. La performance et le contrôle de soi sont encouragés tandis que la commensalité des repas est occultée. L’alimentation saine est présentée comme peu grasse, peu salée, avec des légumes, faisant la promotion du flexitarisme, du végétarisme ou du véganisme ainsi que la consommation de « super aliments », de compléments alimentaires ou l’éloge de certaines tendance (graines, jeûne, pokebowl, smoothies, etc.). Au final, ces contenus instaurent, sans les nommer, des normes et des pratiques à suivre en utilisant les techniques de la communication persuasive et authentique.
Une ressource ludique pour s’informer sur une alimentation équilibrée
La grande force de ces contenus est le mode de communication utilisé. L’analyse des contenus Instagram et des résultats d’une enquête réalisée auprès d’étudiants, révèle à Pascale Ezan que les influenceurs sont perçus par les jeunes comme des vecteurs de liens sociaux et de réassurance. Leur communication est horizontale et non top-down. Ils sont un modèle accessible auquel il est possible de s’identifier. Leurs contenus, qui exploitent parfaitement les codes et les outils de la communication numérique, sont motivants (mise en scène inspirée de la télé-réalité), didactiques (recettes filmées étapes par étapes) et très souvent adaptés au public cible et à ses contraintes (manque de temps ou d’équipement, budget restreint, etc.). Les influenceurs contribuent à montrer concrètement l’exemple, font figure de médiateurs engagés et passionnés, animent une communauté (communication décalée, humoristique) et comme des coachs soutiennent leurs abonnés dans leurs motivations (défis à relever, jeux, etc.). Et tout cela sans employer le ton moralisateur bien souvent reproché aux professionnels de santé.
« L’expérience mise en scène remplace l’expertise des professionnels », conclut Pascale Ezan, qui reconnaît que certaines publications sont des relais intéressants de l’action publique lorsqu’il s’agit d’inciter à consommer des fruits et légumes, à cuisiner ou encore à réduire sa consommation de sucre, de viande ou d’aliments ultra-transformés.
Des effets délétères
En revanche, les réseaux sociaux font aussi la promotion d’un moralisme alimentaire (bon aliments/mauvais aliments). Pire, l’analyse des menus proposés sur Instagram révèle que 82 % des repas sont déséquilibrés. Carences en protéines, mauvaise répartition des glucides, protéines, lipides, promotion de compléments alimentaires, primauté de l’esthétisme visuel sont légion. Les discours et les pratiques sont donc erronés par rapport à une alimentation équilibrée. De même, le désir de minceur est sous-jacent, jamais évoqué mais trahi par des menus hypocaloriques, des stéréotypes de genre (la femme doit moins manger), des astuces coupe-faim, des ingrédients minceur, des discours récurrents sur la satiété facilement obtenue et le sucre en récompense d’un effort. Pour Pascale Ezan, un des problèmes majeurs de ces publications réside dans le fait que les conseils, les recettes, les images corporelles véhiculées sont peu à peu intériorisés par les jeunes sans qu’ils aient le sentiment d’avoir été influencés.
Bien difficile de contrer cette communication moderne, sauf à inciter les instances compétentes, publiques ou privées, à être davantage présents sur les réseaux sociaux.
Image corporelle : les dégâts causés par les réseaux sociaux
https://www.nutripro.nestle.fr/article/image-corporelle-impact-reseaux-sociaux
Source : Pascale Ezan. Journée annuelle Benja- min Delessert 2023. Février 2023. https://www.institut- benjamin-delessert.net/journee-annuelle/jabd-2023/
C. Costa « © Société Française de Nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés »
Date de publication : 24/05/2023
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