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Des experts internationaux pionniers dans le domaine ont expliqué, à l’occasion de la conférence « Food4Mood », comment l’alimentation influence favorablement notre santé mentale et le rôle majeur de l’inflammation dans les troubles mentaux.  

La Fondation FondaMental a organisé la deuxième édition de « Food4Mood », journée d’information dédiée au rôle de l’alimentation dans la dépression. La santé mentale, état de bien-être mental qui nous permet d’affronter les sources de stress de la vie et de réaliser notre potentiel, fait partie intégrale de la santé mais est l’un de ses aspects les plus négligés. Un européen sur quatre est concerné par des troubles mentaux au cours de sa vie et 7,5 % des Français ont souffert de dépression au cours des 12 derniers mois (13 % durant l’épidémie de COVID-19). Plusieurs experts internationaux ont fait le point des connaissances sur le sujet, parmi lesquels Felice Jacka, Joel Doré et Valentina Andreeva.

À l’origine de la « psychiatrie nutritionnelle » 

Felice Jacka (Australie), pionnière dans l’étude des relations entre le psychisme et l’alimentation, a rappelé les données scientifiques existantes sur la relation entre l’alimentation et la dépression. Des données, qui ont servi à l’élaboration de recommandations de pratique cliniques dans le traite- ment des troubles de l’humeur (disponibles sur le site de l’Université de Deakin).

Felice Jacka indique que la plupart des données d’observations mondiales rapporte un moindre risque de dépression (de 30 à 35 %) chez les sujets ayant une alimentation riche en végétaux et pauvre en aliments ultra- transformés, en sel et en viande rouge, indépendamment du statut socioéconomique, de l’éducation et du poids des sujets. Le régime méditerranéen est en particulier très étudié dans ce domaine. Felice Jacka considère que le système alimentaire industrialisé a eu un rôle prépondérant dans l’augmentation des troubles de santé mentale. Elle cite à l’appui plusieurs études de cohortes associant une alimentation riche en produits ultra-transformés et l’occurrence de plusieurs problèmes de santé comme les maladies métaboliques, des décès prématurés et des troubles mentaux graves. Ces données ont été rassemblées dans un numéro spécial du British Medical Journal (2024). Elle indique que les études d’intervention diététique chez les sujets avec symptômes dépressifs ou dépression clinique sont de plus en plus nombreuses. L’essai contrôle randomisé Smiles, qu’elle a élaboré, a permis une rémission clinique chez 30 % des sujets dont le suivi intégrait des recommandations diététiques, contre 8 % chez ceux qui ne bénéficiaient que d’un soutien social. Cinq essais randomisés portant sur le régime méditerranéen rapportent aussi une réduction significative des symptômes parmi les sujets atteints de dépression majeure ou ayant des symptômes dépressifs modérés.

L’existence de ces associations repose sur un certain nombre d’éléments montrant que des facteurs mécanistiques pourraient justifier une relation de type causale. L’association entre l’alimentation et la santé mentale est indépendante du poids, qui n’est finalement qu’un marqueur de l’environnement alimentaire. Il apparaît que le microbiome est un facteur important pour la santé mentale. Les mécanismes d’action expliquant l’association entre l’alimentation et le mental sont nombreux. Dans ses travaux précédents, Felice Jacka a, par exemple, montré que la taille de l’hippocampe, la neurogenèse et le facteur BDNF sont influencés par le régime alimentaire et qu’un rétrécissement de l’hippocampe est observé avec l’avancée en âge et contribue à la survenue de dépression chez les sujets âgés. Dans une étude d’intervention réalisée auprès de femmes, elle a observé que la consommation quotidienne d’un produit laitier enrichi en probiotique BB-12 conduisait à l’augmentation de glutathion, du volume de l’hippocampe et de la connectivité fonctionnelle entre l’hippocampe gauche et le lobe frontal gauche. L’inflammation est aussi très liée à la survenue de dépression majeure comme l’a montré Felice Jacka dès 2010 dans une étude sur un large échantillon de femmes suivies pendant 10 ans. L’alimentation et le microbiote intestinal sont impliqués dans cette inflammation. Felice Jacka évoque aussi le rôle de la perméabilité intestinale dans le passage de composés délétères pouvant avoir des conséquences en termes de dépression. L’analyse de 44 études sur la relation entre la composition du microbiote intestinal et les troubles mentaux lui a permis d’observer une différence de diversité bactérienne du microbiote entre les sujets avec troubles mentaux et ceux sans troubles mentaux. Une abondance accrue de bactéries productrices d’acide lactique, une réduction du nombre de bactéries productrices de butyrate et une production importante d’acide lactique et de Gaba ont notamment été rapportés chez les sujets avec troubles mentaux (dépression, troubles bipolaires et schizophrénie). La diversité bactérienne du microbiote est très liée au régime alimentaire et à sa variété. Dans une étude récente (Barwon Infant Study), son équipe a montré que les femmes qui avaient une alimentation équilibrée et variée durant leur grossesse présentaient une plus grande diversité bactérienne et que les enfants avaient de meilleurs résultats de santé mentale à l’âge de 2 ans. Enfin, dans un essai d’intervention (CALM) auprès de sujets avec symptômes dépressifs élevés, son équipe a montré que des conseils diététiques et de style de vie (6 sessions sur 7 semaines) étaient aussi efficaces qu’un programme de psychothérapie. Mais seule l’intervention diététique avait un impact sur la composition du microbiote intestinal. En particulier, l’abondance de F prausnitzii E pouvait prédire la probabilité d’obtenir une réponse clinique et notamment une réduction d’au moins 50 % des symptômes dépressifs.

Dépression et dysbiose du microbiote intestinal

Joel Doré (Inrae) a présenté l’association entre l’axe intestin—cerveau et la dépression. Il rappelle que la dépression résistante aux traitements est la première cause de mortalité au monde. L’augmentation de sa prévalence est associée à des troubles cardiométaboliques, des symptômes gastro-intestinaux et une inflammation. Deux tiers des patients ne montrent pas de rémission après le premier traitement antidépresseur et 20 à 30 % sont résistants à tous les traitements disponibles. Il faut changer de paradigme. Depuis 15 ans, nous savons qu’un nouvel acteur interagit avec le système nerveux : le microbiote intestinal. De fait, il existe une co-occurrence de symptomatologie intestinale avec la dépression. L’intestin communique avec le cerveau via le nerf vague et via les cytokines et chimiokines qui transitent jusqu’au cerveau ou elles sont actives. Les dysbioses du microbiote intestinal ont un impact sur tous les axes de signalisation (intestin—cerveau, intestin—cœur, intestin—foie, intestin—poumon, intestin—peau) et dans le cas de celui intestin—cerveau, affectent la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique. Ceci conduit à une altération de l’immunité au niveau du cerveau, générant neuro-inflammation et une altération de la signalisation et des fonctions générales du cerveau. Ceci peut arriver à des moments critiques du neurodéveloppement comme dans les périodes précoces de la vie, entraînant un risque accru de développement de maladies neuropsychiatriques ou conduire chez l’individu adulte, au risque de développe- ment de troubles divers comme la dépression et l’anxiété.

Les données de la littérature indiquent qu’il existe un trilogue entre le microbiote intestinal, le système nerveux et le système immunitaire, qui est le vecteur du transfert des signaux entre ces deux premiers acteurs. Des travaux récents montrent aussi que le régime alimentaire et les traitements médicamenteux peuvent dérégler l’équilibre fragile de la diversité microbienne et conduire à une dysbiose du microbiote intestinal ayant pour conséquence une perte de richesse du microbiote intestinal, une augmentation de la perméabilité intestinale, une inflammation, du stress oxydant et des régulations épigénétiques. Ces conditions peuvent s’auto-entretenir en un cercle vicieux. Le retour à l’état initial peut-être, dans ce cas, très compliqué voire impossible.

Dans un projet financé par l’Europe (ERC Homosymbious), Joel Doré a démontré chez le rat que l’inflammation à elle seule peut induire une altération durable de la symbiose hôte microbiote sans retour à l’état d’équilibre normal du microbiote intestinal et de la paroi intestinale. À partir de données humaines de sujets atteints de rectocolite hémorragique, son équipe a observé qu’un seul traitement par des anti-inflammatoires ou par une restauration du micro- biote ne permet pas à tous les patients de revenir à un état de normalité intestinale. En revanche, la combinaison d’une approche anti-inflammatoire à une restauration du microbiote offre la possibilité de restaurer des conditions normales chez de nombreux patients.

Certaines molécules produites par le microbiote intestinal sont directement liées à la santé mentale comme les acides gras à chaîne courte, le GABA, ou encore l’acide indolpropionique, métabolite du tryptophane, et les indoles.

Des études de transfert de microbiote intestinal de sujets atteints de dépression ou de sujets contrôles sans dépression vers un modèle animal axénique ont permis d’observer un effet de la transplantation sur le choix alimentaire et sur les paramètres d’anxiété. Les chercheurs ont observé un renforcement de l’anxiété chez les animaux transférés avec le microbiote des sujets avec dépression et une altération des voies de signalisation liées à la kinurénine et au tryptophane, avec aussi un effet léger sur la motricité intestinale et l’inflammation.

Avant d’associer la microbiothérapie aux traitements antidépresseurs, il existe des outils à disposition comme les fibres ou les probiotiques pour stimuler la diversité du microbiote intestinal, les oméga-3 et certains probiotiques pour renforcer la barrière intestinale, des polyphénols ou des probiotiques pour réduire l’inflammation et le stress oxydant.

Sur un modèle de souris utilisé pour valider les nouveaux antidépresseurs, l’équipe de Joël Doré a testé un mélange de glutamine, un acide aminé renforçant la barrière intestinale, de curcumine aux propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires et du probiotique L rhamnosus GG, une souche connue pour agir à plusieurs niveaux et produire du GABA. Il a montré qu’après trois semaines de supplémentation, ce mélange était aussi efficace sur les paramètres de dépression que l’antidépresseur de référence (clomipramine). Une demande d’autorisation éthique d’une expérimentation chez l’homme en médecine de ville (Optimood) est en cours d’évaluation.

Le transfert de microbiote fécal a aussi montré un intérêt sur les niveaux de dépression et d’anxiété lorsqu’il a été testé dans des essais randomisés en double aveugle chez des sujets avec infection à Clostridium difficile et dans d’autres essais chez des sujets avec syndrome de l’intestin irritable associé à l’anxiété et la dépression, ou chez des patients avec dépression majeure.

Joel Doré conclut que les désordres de type dépressifs peuvent être associés à une altération de la symbiose hôte microbiote notamment lorsqu’il existe des symptômes intestinaux associés. Des stratégies de correction sont possibles via des interventions nutritionnelles pour favoriser des bactéries qui sécrètent par exemple du butyrate, ou tenter le transfert de microbiote fécal si les autres stratégies ne fonctionnent pas.

Des recommandations pour une meilleure santé mentale ? 

Valentina Andreeva a traité des recommandations nutritionnelles pour une meilleure santé mentale. Elle rappelle que le cerveau est un grand consommateur d’énergie et que le glucose est son principal substrat. Elle évoque trois neurotransmetteurs importants : (1) La sérotonine, produite en grande majorité par l’intestin et qui joue un rôle majeur dans le rythme circadien et la régulation de l’humeur ; (2) La dopamine, qui est synthétisée dans le tronc cérébral et joue un rôle essentiel dans la motricité, le système digestif la motivation et le plaisir ; (3) L’adrénaline, qui est sécrétée par le système nerveux central en réponse à un état de stress ou en vue d’une activité physique. La dopamine est le précurseur de l’adrénaline. La « psychiatrie nutritionnelle » est née du fait que les nutriments ont un impact non seulement sur la structure mais aussi sur le fonctionnement du cerveau et que la pharmacothérapie et la psychothérapie ne sont pas suffisantes. Les nutriments les plus étudiés sont les acides gras polyinsaturés, les phospholipides, les vitamines du groupe B, les antioxydants et les régimes méditerranéens. Les facteurs de risque d’origine nutritionnelles étudiés sont les aliments ultra-transformés et les sucres.

Les dernières données sur les acides gras insaturés (95 méta-analyses) indiquent qu’une consommation plus élevée de poisson est associée à un risque réduit de 22 % de dépression et un risque réduit de 26 % de la maladie d’Alzheimer. Une étude récente montre que la consommation d’œufs, riches en phospholipides réduit le risque de symptômes dépressifs chez les sujets âgés sur six ans. Les vitamines du groupe B, qui jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement du système nerveux ont été associées à une meilleure gestion du stress. Une revue systématique rapporte une amélioration des troubles dépressifs majeurs (dont dépression post-partum et post-ménopausique) avec la supplémentation en vitamine B9. Valentina Andreeva cite une synthèse de 61 études individuelles rapportant que l’apport en fruits et légumes riches en composés antioxydants (baies, agrumes, légumes-feuilles) pourrait protéger contre les symptômes dépressifs. De même, il existe une causalité inversée puisque l’on observe que les sujets âgés avec dépression consomment moins de fruits et de légumes que les autres patients sans dépression. Le régime méditerranéen fait aussi l’objet de nombreuses recherches et a montré qu’il apportait des bénéfices sur la santé mentale et la dépression. Concernant les aliments ultra-transformés, des études rapportent un risque accru de 53 % des symptômes dépressifs et anxieux avec une consommation importante de ces produits et une étude prospective observe un risque accru de 22 % de la dépression. Les apports en glucides (totaux et complexes, amidons, sucres ajoutés, céréales raffinés, boissons sucrées, confiseries, pâtes, index et charge glycémique) étaient positivement associés à l’anxiété et l’insomnie chez les adultes (Cf. Cahiers de Nutrition et Diététique 2022 ; 58(2)).

Valentina Andreeva conclut qu’une bonne santé men- tale est associée à des aliments avec des propriétés anti-inflammatoires, favorisant la réduction du stress oxydatif, agissant favorablement sur le microbiote intestinal ou la synthèse des neurotransmetteurs, améliorant l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, favorisant la neuroplasticité ou réduisant les carences alimentaires. Ses recommandations : avoir une alimentation variée et équilibrée, faite maison, avec une bonne qua- lité/densité nutritionnelle, une bonne hydratation. Des prises alimentaires régulières, ne pas manger seul, respecter le rythme circadien et pratiquer une activité physique.

La Fondation FondaMental a mis au point, avec l’aide de scientifiques, psychiatres nutritionnistes et diététiciens, une application « Food4Mood » pour aider les patients souffrant de troubles mentaux à adopter une alimentation favorable à la santé mentale.

Reference

Nutrition et dépression : de la preuve au changement de paradigme. Deuxième édition de Food4Mood — 8 octobre 2024. Food4Mood: Édition 2024. Actualités. Fondation FondaMental

C. Costa © Société Française de Nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Date de publication : 20/12/2024

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