Emmanuelle Disse, Sébastien Czernichow, Audren Dumotier et Fabienne Delestre expliquent en détail ce que l’on peut attendre des nouveaux analogues du GLP-1, leurs limites et leurs risques associés, ainsi que le suivi et l’accompagnement nécessaires.
La Journée Annuelle Benjamin Delessert était, cette année, en partie dédiée à la prise en charge de l’obésité en 2025. L’occasion d’écouter trois interventions complémentaires sur les nouveaux traitements pharmacologiques de l’obésité, ce que l’on peut en attendre, leurs limites et le rôle d’accompagnement du diététicien.
Trois analogues du GLP-1 pour traiter l’obésité
Emmanuel Disse a expliqué les mécanismes d’action des analogues du GLP-1. Pour rappel, le GLP-1 est une hormone produite principalement au niveau de l’intestin et dans une moindre mesure dans le cerveau, en réponse à l’alimentation. Cette hormone se fixe essentiellement sur ses récepteurs au niveau périphérique et transmet au cerveau, via le nerf vague, une information de satiété. Au contraire, l’analogue pharmacologique du GLP-1 a une action principalement sur les récepteurs cérébraux au GLP-1 situés sur les systèmes régulateurs hédoniques et homéostatiques de la prise alimentaire.
Actuellement trois médicaments sont disponibles en France : le ligaturide (Saxenda®), le sémaglutide (Wegovy®) et le tirzépatide (Mounjaro®). Ces médicaments ne sont pas remboursés par la sécurité sociale.
Le ligaturide (3 mg par jour) est disponible en France depuis près de quatre ans. Son coût est de 180 euros par mois (une injection par jour). Associé à des modifications alimentaires et à une activité physique, il permet à un tiers des patients d’atteindre une perte de poids significative de plus de 10 % après un an de traitement. Les bons répondeurs au traitement peuvent être identifiés par leur rapide perte de poids dès les quatre premiers mois.
Le sémaglutide (2,4 mg par jour) est disponible depuis le mois d’octobre 2024 pour un prix moyen de 260 euros par mois (une prise hebdomadaire). Les trois quart des sujets perdent 10 % de leur poids, 50 % plus de 15 % et 35 % plus de 20 %. À titre de comparaison, la chirurgie gastrique permet d’atteindre une perte de poids de 25 à 30 %.
Le tirzépatide est une molécule hydride capable de se fixer sur deux cibles : le récepteur au GLP-1 et le récepteur du GIP (incrétine), impliqué dans le contrôle de la satiété au niveau central. À des doses élevées (10 à 15 mg par jour), cette molécule permet des pertes de poids moyennes supérieures à 20 % du poids chez deux-tiers des sujets, parmi lesquels 40 % perdent plus de 25 %. C’est actuellement le traitement le plus puissant sur la perte de poids, disponible en France.
Toutefois, la perte de poids ne se produit que sur une durée limitée. Après un an de ligaturide ou de sémaglutide, elle ralentit, s’arrête puis le poids se maintien (sous traitement). Si le traitement est stoppé, les patients reprennent 70 % de leur perte de poids en un an. Avec le tirzépatide, la perte de poids s’arrête aussi à un an et le poids se maintient jusqu’à 3 ans mais sous traitement continu. À l’arrêt du traitement, la majorité de la perte de poids est reprise. À titre de comparaison, sous chirurgie bariatrique, nous observons une reprise pondérale d’importance moyenne chez la plupart des patients après 2 à 5 ans.
Emmanuel Disse précise cependant que ces médicaments ont des effets intéressants sur le comportement alimentaire. Dans le cas du ligaturide ou du sémaglutide, au-delà de la réduction de l’ordre de 25 % des ingestas qu’ils induisent, ils diminuent de 35 % la consommation des aliments riches en graisses. Les sujets ont une sensation de réplétion précoce au début du repas et la fréquence des envies irrépressibles de manger (craving) est aussi fortement réduite. Le tirzépatide a des effets identiques mais plus puissants. Le ligaturide et le tirzépatide ont aussi des effets intéressants sur la désinhibition et la restriction alimentaires. Enfin, ces médicaments ont des effets extrapondéraux observés dans des études cliniques comme une diminution des évènements cardiovasculaires et des apnées du sommeil en majorité du à la perte de poids. Ces médicaments sont autorisés à partir d’un IMC de 27 avec comorbidités ou un IMC de 30 sans comorbidités mais la HAS souhaite qu’ils soient réservés aux cas les plus sévères et après un parcours classique de soin.
Limites et risques de ces nouveaux traitements
Sébastien Czernichow a poursuivi en exposant les risques et les limites à considérer lors de l’utilisation de ces analogues du GLP-1. Il concède que cette classe thérapeutique est efficace pour favoriser la perte de poids (entre 6 et 22 % de perte de poids) et pour améliorer de nombreux paramètres métaboliques.
Toutefois, il existe de mauvais répondeurs, environ 25 %, qui ne perdent pas de poids et il existe des effets secondaires au traitement. Ils sont principalement d’ordre gastro-intestinaux (nausée, vomissement, constipation, diarrhée, reflux gastro-œsophagien) et sont d’intensité faible à modérée dans la majorité des cas. Seuls 4 % des patients stoppent le traitement à cause de ces effets secondaires. Il faut donc discuter avec les patients de ces effets possibles et éventuellement prescrire des traitements pour ces troubles. D’autres effets secondaires ont été récemment décrits comme les évènements lithiasiques biliaires, retrouvés avec toutes les stratégies de perte de poids massive. Il faut informer les patients des douleurs caractéristiques et leur conseiller de consulter en urgence si elles surviennent. Pour lui, il serait judicieux de prescrire de façon systématique de l’Ursolvan comme cela est pratiqué après chirurgie bariatrique.
De même, la fonction et la force musculaires doivent être évaluées avant et au cours du traitement pharmacologique (handgrip, levers de chaise...). Des études rapportent que proposer de l’activité physique en parallèle du traitement peut limiter la fonte musculaire et préserver la santé osseuse.
Quelques rares articles compilant des registres de santé ont aussi évoqué des cas de neuropathie optique ischémique antérieure non artéritique avec le sémaglutide mais ceci est très rare. De même pour le risque suicidaire ou celui de pancréatites aiguës.
Quant aux recommandations de prise en charge nutritionnelle autour de ces traitements, il n’en existe pas encore. Sébastien Czernichow conseille de surveiller l’hydratation, le contenu en protéines, en fibres et en micronutriments de l’alimentation.
Pour lui, les médicaments doivent être utilisés de façon personnalisée selon les trajectoires et les situations individuelles des sujets, mais toujours associés à une activité physique et une alimentation adaptée. L’évaluation et le suivi des troubles du comportement alimentaire sont également incontournables.
Suivi et accompagnement des patients par le diététicien
Audren Dumotier et Fabienne Delestre ont parlé du rôle du diététicien dans le suivi des patients sous analogues du GLP-1 (Wegovy® principalement prescrit depuis 2022). Avant la prescription du traitement, un bilan diététique est réalisé grâce à un questionnaire alimentaire et le patient est interrogé au sujet de sa perception corporelle des sensations alimentaires. Les troubles du comportement alimentaire (hypophagie, boulimie, compulsions, grignotages, etc.) sont aussi évalués. L’indication de prescription sera évaluée en fonction de plusieurs paramètres comme le besoin du patient, la complexité de l’obésité, la présence d’atteintes métaboliques mécaniques complexes, de troubles du comportement alimentaire et le caractère urgent de la perte de poids en vue d’une opération par exemple. Audren Dumotier explique qu’il faut d’abord orienter le patient vers une prise en charge par thérapie cognitivo-comportementale, pleine conscience (alimentation intuitive) pour obtenir une amélioration du comportement alimentaire. La masse musculaire est aussi évaluée (handgrip, levers de chaise, impédancemétrie, Dexa).
La seconde évaluation est fixée un an après le début du traitement pour proposer une conduite diététique et comportementale en fonction des différents effets secondaires. Ces effets secondaires apparaissent, en général, 24 h après l’injection et persistent pendant 48 h. Les patients doivent donc réfléchir au meilleur moment pour que l’injection impacte au minimum leur qualité de vie, même si ces effets indésirables sont parfois mineurs. Lorsqu’il s’agit de nausées et de vomissements, le diététicien recommande de renforcer l’hydratation, de mâcher doucement, de fractionner les repas, de consommer des préparations tièdes ou froides, avec des saveurs, des odeurs neutres, d’éviter les aliments peu digestes, très gras, très sucrés, les fibres dures, les graisses cuites. Il s’agira aussi de privilégier les laitages neutres, les fruits et les légumes cuits à l’eau. Les boissons gazeuses peuvent parfois atténuer les nausées. Face aux diarrhées, les fibres et les végétaux crus sont déconseillés. Face au manque d’appétit, les repas peuvent être fractionnés, les protéines, viande, poisson, œufs, produits laitiers sont privilégiés et les plats peuvent être agrémentés d’herbes, d’aromates et d’épices. Lorsque les apports en protéines sont insuffisants, le diététicien propose d’ajouter de la poudre de protéines. Globalement à un an, 75 % des patients n’ont plus d’effets secondaires.
Le rendez-vous annuel est aussi l’occasion d’évaluer les volumes ingérés et les éventuels changements de préférences alimentaires. Si le patient indique qu’il consomme davantage d’aliments sucrés, il faut se poser la question d’une compulsion. Le rythme alimentaire est analysé ainsi que les apports pour évaluer le risque de carences et de dénutrition ou l’évolution des troubles du comportement alimentaire. Le rapport à l’alimentation est questionné (serein, impulsif, frustré, sensible aux externalités visuelles et olfactives ?) ainsi que l’estime de soi et de son image corporelle. La tolérance digestive est évaluée et est généralement améliorée après les 4 à 6 premiers mois de traitement. La masse musculaire est évaluée, notamment le risque de sarcopénie et dénutrition. En conclusion, la prise en charge est basée sur la santé globale, c’est-à-dire le poids, la santé métabolique, la santé mécanique, la santé mentale et le niveau fonctionnel.
Fabienne Delestre a présenté les données de prise en charge de neuf patients inclus dans un essai clinique randomisé, en double aveugle contre placebo et suivis sur 18 mois. Les 5 premières consultations ont lieu tous les 15 jours et les suivantes tous les mois. Le suivi porte sur le rythme alimentaire, les sensations de faim, les portions, la composition des repas, la diversité alimentaire, les carences et la mise en place d’une activité physique adaptée. Le suivi est aussi l’occasion d’aider les patients à se reconnecter à leurs sensations de faim et de rassasiement, et à prendre conscience des portions les mieux adaptées à leurs besoins. Au fur et à mesure de la prise du traitement, les sensations de faim, qui avaient disparu au départ, vont réaugmenter. Le diététicien doit rassurer les patients sur ce sujet, les aider à distinguer la faim physiologique de celle psychologique. Fabienne Delestre note que la plupart des patients se sont remis à cuisiner et à manger des légumes. Leur appétence pour le sucre et les aliments gras a diminué ainsi que les compulsions du soir. Certains patients se plaignent cependant d’avoir perdu le plaisir de manger. Globalement, les patients vivent le traitement aux analogues de GLP-1 comme une « béquille » mais qui ne remplace pas les modifications hygiénodiététiques et comportementales. L’accompagnement diététique et le travail sur les sensations alimentaires en amont mais également pendant la prise du traitement permettent une meilleure tolérance digestive au traitement, une amélioration plus importante et durable du comportement alimentaire et une potentialisation des résultats pondéraux. Enfin, la phase d’arrêt du traitement a été vécue de manière plus positive grâce aux conseils diététiques prodigués pendant la phase d’intervention ainsi qu’à l’intégration de l’activité physique essentielle après l’arrêt du traitement.
Source : JABD 31 janvier 2025 Institut Benjamin Delessert. http://www.institut-benjamin-delessert.net/
C. Costa © Société Française de Nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Date de publication : 24/04/2025
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